Zhao Mengfu et « Quatre Maitres de la Dynastie des Yuan »

La théorie de la peinture des érudits de la dynastie des Song du Nord n'eut pas une grande influence sur la peinture des Song du Sud. Pressée par le royaume de Jin au nord, la dynastie des Song du Sud était sur le point d'être conquise. Les intellectuels d'ethnie han qui adhéraient à la pensée de Confucius se répandirent autour, échafaudant des supports pour résister à l'invasion des tribus extérieures. Ils employèrent, dans leur poésie et dans leurs déclarations, toute leur passion patriotique et leur colère contre les agresseurs étrangers. Cependant, le style de peinture doux des dynasties des Tang et des Song ne convenait pas à l'expression de leurs émotions fortes et de leurs sentiments mélancoliques. L'Académie impériale de peinture des Song du Sud ne pouvait plus absorber que des peintres de seconde classe, qui ne savaient exprimer leur colère que par un pinceau effréné et incisif. Pour ces érudits confucéens qui avaient une solide instruction, ces œuvres d'artistes de seconde classe n'étaient pas appréciables.

Sous la dynastie des Yuan, la société établit une certaine normalité après les guerres et les peintres érudits commencèrent à s'interroger et à réagir violemment au style étroit de peinture de la dynastie des Song du Sud. Zhao Mengfu était leur représentant.

Gengis Khan unifia la Mongolie au XIIIe siècle et son ascension fut rapide. En 1271, Kubilaï Khan fonda l'empire des Yuan à Dadu (Beijing) et conquit la dynastie des Song du Sud en moins de douze ans, assumant ainsi l'autorité sur toute la Chine. Dans les premières années de la dynastie des Yuan, de façon à consolider son pouvoir, Kubilaï Khan apprit l'art de gouverner dans les écrits de Confucius et se montra courtois envers les fonctionnaires confucéens. Ses successeurs continuèrent de valoriser Confucius et de respecter le taoïsme, et établirent le « Kui Zhang Ge » (Pavillon de la valorisation de la littérature).

Le collectionneur de peintures Ke Jiusi (1290-1343) fut nommé académicien de la cour pour l'évaluation des livres ; il devait vérifier et classer tous les livres des collections impériales. Zhao Mengfu (1254-1322), surnommé Zi'ang, portait aussi le pseudonyme littéraire de Songxue Daoren. Il était un descendant de la famille impériale des Song. Après la chute des Song, il fut recommandé à la cour et devint fonctionnaire, étant donné que le nouvel empire était particulièrement intéressé aux ressortissants de la dynastie précédente. Puis, Kubilaï Khan mourut. Zhao Mengfu suivit Dong Yuan et Li Cheng en peignant des montagnes et des eaux, et Li Gonglin et Tang Ren en peignant des portraits et des chevaux. Ses peintures de bambous et de fleurs-et-oiseaux à l'encre sont devenues célèbres pour son style de traits vigoureux et ronds. Il peignait des pierres en traits creux et des bambous en style calligraphique. Dong Qichang de la dynastie des Ming a commenté : « Ses œuvres avaient le style des peintres de la dynastie des Tang mais pas leur minceur, et étaient aussi vigoureux que ceux des peintres de la dynastie des Song du Nord, mais pas aussi grossiers. » Il pouvait écrire des poèmes délicats et graver des sceaux. Ses œuvres comprennent Oiseaux et automne {Quehua Qiuse tu), Arhats vêtus de rouge (Hongyi Luohan tu), Youyu Qiuhe tu, Cheval s'abreuvant dans la banlieue en automne (Qiujiao Yinma tu) et Bonheur des pêcheurs au bord de la rivière (Jiangcun Yule tu). Il a aussi écrit Songxue Zhai Wenji en dix volumes (Œuvres complètes de Songxue Daoren).

Zhao Mengfu et « Quatre maitres de la dynastie des Yuan »
Cheval s'abreuvant dans la banlieue en automne (23,6 cm x 59 cm) de Zhao Mengfu. Musée du Palais impérial de Beijing.

Zhao Mengfu insistait pour réformer le style de l'Académie impériale de peinture de la dynastie des Song du Sud et considérait que les peintures devaient conserver le sens de la tradition, sans quoi elles n'auraient pas de valeur même si elles étaient exécutées avec soin. La Chine avait cette habitude de changer sans trop s'éloigner des anciens systèmes. La dynastie des Yuan abandonna l'Académie impériale fondée sous la dynastie des Song du Sud et accorda à Zhao Mengfu, un peintre érudit qui servait directement la cour, un statut spécial. La proposition de Zhao Mengfu d'abandonner la tradition établie sous la dynastie des Song du Sud pour retourner aux racines culturelles des dynasties précédentes plut aux dirigeants de la dynastie des Yuan. Par la suite, il voulut créer un nouveau style en suivant les traditions des dynasties des Jin et des Tang, des Cinq Dynasties et de la dynastie des Song du Nord. Sa proposition et ses œuvres persuasives menèrent au développement d'un courant de « retour aux anciens » chez les peintres des Yuan.

Zhao Mengfu avait deux styles distincts. L'un consistait en un pinceau fin et des couleurs épaisses et l'autre en un travail libre au pinceau avec encre et lavis. Le premier style fait preuve de son respect pour les œuvres des dynasties des Jin, des Tang et des Song du Nord. Dans sa jeunesse, il avait étudié le style des Jin et des Tang et le vert était la couleur qu'il utilisait le plus fréquemment. Son Youyu Qiuhe tu en est un bon exemple. Il esquissait le sujet de lignes avant d'ajouter les couleurs sans points de texture, ce qui était un style traditionnel. Cheval s'abreuvant dans la banlieue en automne (Yuma tu) suivait le style de la dynastie des Tang avec un modèle minutieusement dessiné et l'utilisation des couleurs. Le ton était chaud et grandiose. Oiseaux et automne incarne un autre style avec des paysages simples et lointains, lesquels, selon Dong Qichang, suivent le style de Dong Yuan. L'historien d'art des temps modernes Wang Bomin (né en 1924) mena une investigation sur place aux monts Huabuzhu et Queshan qui avaient été représentés dans la peinture, et confirma que Zhao était un maitie talentueux dans la reproduction des scènes réelles. La peinture à l'encre Village d'eau (Shuicun tu) montre la merveilleuse scène d'une chaine de montagnes couvertes de nuages, et de villages entourés de rivières. L'artiste recommença à utiliser le centre du pinceau et abandonna la méthode des peintres des Song du Sud consistant à se servir des côtés. Ses paysages à l'encre semblent correspondre au style de Mi Fu. Il suivit aussi le style de Li Cheng et de Guo Xi, ce qui lui permit de corriger l'erreur de dépression évidente chez Mi Fu. De manière à exprimer son respect pour Su Shi et Wen Tong, il imita également leurs styles et peignit plusieurs bambous et rochers en utilisant son pinceau impassible pour remédier à l'agitation de Su Shi. Il recourut consciencieusement à ses compétences calligraphiques et ajouta de longues transcriptions de poésie dans ses peintures. Les experts disent que la peinture des lettrés « commença avec Su Shi, et que Zhao Mengfu ouvrit grand la porte. »

La plupart des peintres lettrés non officiels de la dynastie des Yuan avaient tendance à se retirer du monde séculier pour exercer librement leur art dans leur monde spirituel. Ils illustraient leur mode de vie et leurs intérêts et ambitions dans leurs œuvres. Ainsi, montagnes et eaux, arbres morts, bambous et pierres, fleurs de pruniers et orchidées devinrent leurs compositions préférées tandis que la peinture de personnages qui reflétait directement la vie sociale n'avait pas leur faveur. Quand ils songeaient à peindre, les fonctionnaires érudits mettaient l'accent sur l'esprit du lettré, le sens de l'histoire, et la grâce du non-conventionnel et s'opposaient au sens de la manipulation et de l'artisanat. Les peintures à l'encre à main libre de Su Shi et Mi Fu sont considérées comme le meilleur exemple de cette philosophie de la peinture des érudits.

Les peintres portaient beaucoup d'attention à l'utilisation de leur talent de calligraphes dans la peinture par l'intégration de poèmes ou de calligraphies. L'usage de la calligraphie était un critère pour juger de leur compétence. Les peintres érudits croyaient que ceux qui savaient peindre devaient d'abord être de bons calligraphes et que la peinture n'était que l'extension de cette compétence. Les peintres lettrés de la dynastie des Yuan poursuivirent les théories de Wen Tong, Su Shi et Mi Fu de la dynastie des Song du Nord, invoquant l'abandon de l'apparence réelle et cherchant la ressemblance spirituelle et adoptant la grâce de la simplicité. Même si les peintures des érudits étaient considérées comme des trésors de l'art, leurs créateurs déclaraient que peindre n'était pour eux qu'une activité de loisir. Le célèbre peintre de paysage Wu Zhen réitérait que « peindre est simplement une activité intéressante comme pour les érudits la composition de poèmes. » Zhao Mengfu et Huang Gongwang, Wang Meng et Wu Zhen qui se firent un nom au milieu et à la fin de la dynastie des Yuan étaient vus comme les « quatre maitres de la dynastie des Yuan ». À la fin des Ming, Dong Qichang classa Zhao Mengfu séparément comme le grand maitre des Yuan, et ajoute Ni Zan aux « quatre maitres de la dynastie des Yuan » originaux. Ces quatre artistes héritèrent de la tradition du paysage des Cinq Dynasties et de la dynastie des Song du Nord. Ils furent influencés directement par Zhao Mengfu mais ils développèrent leurs propres caractéristiques.

Huang Gongwang (1269-1354) était en tête de liste des « quatre maitres de la dynastie des Yuan ». C'était un enfant prodige, créateur de plusieurs œuvres classiques et historiques et talentueux en calligraphie, en musique et en chant. Il devint fonctionnaire local sous la dynastie des Yuan et fut persécuté pour une erreur qu'il avait commise. Une fois relâché, il avait perdu foi dans le gouvernement et chercha à vivre à l'écart. Il commença à peindre à l'âge de cinquante ans. Huang Gongwang développa plus tard le style de peinture à l'encre de Zhao Mengfu, et dépassa les réalisations de Dong Yuan et Ju Ran. Il utilisait des traits textures. Dans ses dernières années, il changea de style et utilisa rarement la texturation. Le charme de ses œuvres va au-delà de celui des peintures de Zhao Mengfu. Ses célèbres œuvres qui ont survécu sont Vivre au mont Fuchun (Fuchunshan Ju tu), Falaise de Tianchi (Tianchi Shibi tu) et Neuf sommets sous la neige {Jiufeng Xueji tu).

Wang Meng (1301-1385), qui portait le pseudonyme de Shuming, était aussi connu sous son nom de plume Xiangguang Jushi, ou Huangheshan Qiao. Né dans une famille de calligraphes et peintres, il était le neveu de Zhao Mengfu. Il devint fonctionnaire mais plus tard quitta son poste pour vivre au mont Huanghe à Linping (actuellement Yuhang dans la province du Zhejiang). Après la chute de la dynastie des Yuan, il travailla de nouveau comme fonctionnaire à Tai'an dans la province du Shandong. En 1385, il fut arrêté dans le cadre du cas Huweiyong et mourut en prison. Il lisait beaucoup et avait une remarquable mémoire ; il était bien formé en poésie, littérature, calligraphie et peinture. Ses peintures furent influencées par Zhao Mengfu et il recevait souvent des conseils de Huang Gongwang. Il a aussi imité le style de Dong Yuan et de Ju Ran. Il peignait surtout à l'encre et développa le trait « poil de vache ». Il était considéré comme un maitre du paysage doté de créativité et presque tous les peintres des dynasties des Ming et des Qing et les peintres contemporains ont tiré quelque enseignement de ses œuvres. Ses peintures qui sont parvenues jusqu'à nous sont Vivre dans les montagnes en été (Xiari Shanju tu), Vivre en retraite en été (Xiari Gaoyin tu) et Aller vivre dans la vallée de Gezhi (Gezhichuan Yiju tu).

Zhao Mengfu et « Quatre maitres de la dynastie des Yuan »"
Pêcheurs au lac Dongtlng (146,6 cm x 58,6 cm) de Wu Zheng. Musée du Palais de Taipei.

Vivre dans les montagnes en été fut peint à l'encre sur papier, et mesure 118,1 cm de haut sur 36,2 cm de large. L'œuvre est actuellement conservée au Musée du Palais impérial de Beijing. La partie lointaine du tableau est une chaine de montagnes ; la partie centrale est un haut pic magnifique qui se perd dans les nuages ; dans la partie rapprochée se trouvent des pins au flanc des collines. À côté des arbres on voit un étang d'eau tranquille et au-dessus des arbres, des rochers. Sur les rochers, une colline en forme de petit pain dont le pied s'étend dans l'eau. Les collines se divisent en trois couches et des étendues sablonneuses restreintes remplissent les espaces entre elles, mêlant de vagues images avec des points de mire clairs. Les vieux arbres et les montagnes abruptes s'harmonisent aux ruisseaux et aux chutes. La composition est minutieusement agencée en un style tout à fait différent de celui des peintures de la dynastie des Yuan. À en juger par l'inscription, la peinture fut complétée dans les dernières années de Ni.

Wu Zhen (1280-1354), ou Zhonggui en art, était aussi connu sous le nom de Meihua Daoren, Meihua Shami ou Meihua Heshang. Né à Jiaxing, au Zhejiang, il a vécu en retraite et dans la pauvreté à l'âge adulte. Il pratiquait la divination pour subsister. Par conséquent, il fut appelé « maitre du taoïsme » et « bonze du bouddhisme », ce qui n'était pas rare dans la société de l'époque. Wu Zhen suivit le modèle de Dong Yuan et Ju Ran dans sa peinture de paysages, arbres et pierres, et occasionnellement, de Jing Hao et Guan Tong. Yun Nantian, un peintre paysager de la dynastie des Ming fit ce commentaire : « Meihua Anzhu (Wu Zhen) et Yifeng Laoren (Huang Gongwang) ont appris du style de Dong Yuan et Ju Ran ensemble. Wu favorisait l'obscurité tandis que Huang adhérait à la simplicité. Ils avaient une esthétique différente mais des réalisations artistiques similaires. » Les peintures de Wu avaient pour thème des pêcheurs, reflétant sa vie recluse et sa distance des attitudes sociales.

Ni Zan (env. 1306-1374), était aussi appelé Yunlinzi, Huanxiazi, Jingmanmin et Jingchu Yinzhe. Né à Wuxi dans une famille riche, il fit construire la pagode Qingbi dans son propre jardin pour y déposer toutes ses collections. Dans sa vieillesse, il voulut vivre dans la solitude et vendit toutes ses terres et propriétés. À ce temps de société chaotique, il quitta son domicile pour vivre sur un bateau pendant douze ans. C'est durant cette période qu'il se voua à la peinture et qu'il forma son style propre de peinture de paysage. Il fut arrêté suivant sa rébellion contre les fonctionnaires de l'impôt et mourut peu après sa remise en liberté.

Profondément influencé par Dong Yuan, il suivit aussi les styles de Jing Hao et Guan Tong. Il apprit également de Li Cheng en peinture de montagnes, rochers et arbres. Ses compositions principales étaient des scènes des environs du lac Tai. La plupart de ses œuvres furent construites selon un modèle où la section inférieure est un flanc de colline plat avec des bambous, des arbres, des huttes et des pavillons ; la section médiane, des eaux calmes ; et la section lointaine ou supérieure, des chaines de montagnes. Il utilisait souvent le pinceau sec avec simplement de l'encre. Son style de complexité et richesse dans la simplicité a exercé une grande influence sur les peintres érudits des dynasties des Ming et des Qing. Ses peintures qui ont survécu comprennent Poème de Du Lin (Dulin Shiyi tu), Le jardin Shizilin (Shizilin tu), Village de pêcheurs après la pluie (Yuzhuang Qiuji tu) et Six hommes d'honneur (Liu Junzi tu).

Les paysages à l'encre et au lavis des « quatre maitres de la dynastie des Yuan » marquèrent la fin du changement d'intérêts dans les paysages formés sous la dynastie des Song du Nord. Dong Qichang résume : « Les quatre maitres Huang, Ni, Wu et Wang ont commencé à apprendre de Dong Yuan et Ju Ran ». Les quatre maitres établirent leur propre style embelli par Dong Yuan et établirent aussi la direction future du paysage pour leurs successeurs. Les peintres postérieurs les respectaient profondément, entre autres Shi Tao de la dynastie des Qing, célèbre par son égotisme, qui commenta : « Les réalisations de Dachi (Huang Gongwang), Yunlin (Ni Zan) et Huanghe Shanqiao (Wang Meng) dépassent celles de leurs prédécesseurs. »

Leurs disciples ne les respectaient pas seulement pour leurs réalisations en peinture mais aussi pour leurs vertus et leur personnalité. Huang Gongwang, Ni Zan, Wu Zhen et Wang Meng avaient connu des circonstances personnelles et une expérience très différente dans leurs jeunes années, mais avaient atteint le même but à la fin. Ils s'appréciaient l'un l'autre et partageaient la même façon de pensée. Les quatre maitres cherchaient une vie à l'écart de la société et essayaient d'éviter la restriction de leurs ambitions politiques et les tentations matérielles. Ils étaient des hommes de principe et de justice, et appréciaient la vie solitaire, loin de la normalité du monde ordinaire. Ils adhéraient au taoïsme et au bouddhisme, et rêvaient de vivre avec la nature et d'avoir pour amis les montagnes et les rivières. Leur plus haute satisfaction consistait à vivre dans les profondes forêts et près des rivières et des rochers où ils pouvaient surveiller le déplacement des nuages. Le paysage était leur religion.