Principes de la Ccontemplation par les Peintres Chinois

L'invention de la photographie en 1839 causa la panique dans le milieu des peintres en Europe. La façon principale de peindre en Occident consistait à imiter la nature plutôt qu'à l'exprimer. Quand ils virent qu'un appareil pouvait remplir cette fonction mieux qu'eux-mêmes, les peintres furent au désespoir. Paul Klee (1879-1940) dit que l'art commençait à exprimer l'esprit plutôt que le monde matériel du moment que la photographie était inventée. Par conséquent, à partir du XIXe siècle, la peinture occidentale s'engagea dans la nouvelle voie du modernisme. Dix ans après son invention, la photographie parvint en Chine mais elle n'eut jamais le même impact sur les peintres chinois même si l'élite culturelle et la classe dirigeante chinoises admirèrent le pouvoir magique des peintres occidentaux et leur habileté à copier des objets naturels. La famille impériale de l'époque, y compris Cixi, la grand-mère de l'empereur, montra une grande curiosité face à cette nouvelle technologie mais ne la vit jamais comme une alternative à l'art de peindre. La peinture traditionnelle chinoise était fondamentalement une forme d'art abstrait. Bien qu'il n'y eût pas de peintures chinoises totalement abstraites au sens propre du terme, les objets peints n'étaient pas la représentation directe de la nature suivant le principe de la perspective. Ils étaient plutôt une harmonie entre le monde naturel et l'émotion humaine, un produit « du ciel (nature) et de l'humain ». L'effet que les peintres chinois voulaient illustrer dans leurs œuvres n'était pas un effet visuel de couleurs et de formes comme leurs pairs occidentaux cherchaient à le faire. La description des objets dans leurs tableaux n'était aucunement soignée et l'on s'occupait bien peu de la couleur, de la perspective, de l'anatomie, de la texture et des dimensions relatives. Ce que les peintres chinois voulaient réaliser était un monde dans leur pensée et non un monde matériel. Le monde naturel n'était pas un objet dont ils faisaient une reproduction véritable mais un fournisseur d'éléments pour construire leur propre univers.

Contrairement à la façon de voir populaire chez les peintres occidentaux, les artistes chinois ne considéraient pas la nature comme un objet mais plutôt comme un sujet qu'ils vénéraient. Ils avaient une incontrôlable inspiration et l'énergie d'amplifier à travers la création une certaine image afin de prouver la multiplicité de la nature dans leur esprit. Les montagnes lointaines et les cours d'eau étaient les traces de leur processus de pensée. Le philosophe allemand Leibniz, du XVIIe siècle, a utilisé les termes de Naturliche Théologie (Théologie naturelle) pour décrire cette attitude chinoise particulière face à la nature. Dans son Dao De Jing, Laozi disait que la nature était la force ultime. « L'homme gouverné par la terre ; la terre gouvernée par le ciel ; le ciel gouverné par le Dao (la voie) ; le Dao gouverné par la nature. »

Cette logique taoïste de l'homme jusqu'à la nature par le Dao (ou Tao, la Voie) démontre clairement que lorsque les artistes peignaient un paysage, ils touchaient le Dao par lequel ils s'immergeaient finalement dans la nature. C'est la façon dont les peintres chinois voyaient la nature. La nature n'était pas seulement grande et respectable, mais aussi admirable et inspirante. Elle devait être respectée et louangée. On peut aussi la comprendre et agir sur elle pour servir ses besoins. Les lois de la nature peuvent être utilisées pour changer le fonctionnement de celle-ci. Dans le monde réel, très souvent la nature était derrière les tâches du quotidien et on ne pouvait la voir clairement. Quand les peintres observaient le monde, ils avaient besoin de voir à travers et d'accéder à sa forme véritable de manière à ce que leur esprit résonne en harmonie avec la nature. Le talent d'un bon peintre était aussi une force de la nature, et qui permettait à la vraie nature d'apparaitre sans déguisement et aux gens de sentir la vigueur de la vie et la chaleur du monde spirituel dans les tableaux.

Principios de Contemplar por Pintores Chinos
Imitant Ni Yunlin. Eau d'automne et ciel clair (182 cm x 79,5 cm) de Zhang Daqian.

Les lettrés avaient la responsabilité politique, et pour plusieurs, gouvernementale, mais ils ne pouvaient oublier l'attrait de la nature. Un paysage leur fournissait une façon de jouir de la beauté naturelle qui leur manquait. Guo Xi (1020-1109), un peintre de la dynastie des Song, a indiqué dans Spiritualité dans un ruisseau de forêt (Linquan Gaozhi), que les lettrés admiraient les forêts et les cours d'eau simplement parce qu'ils étaient des endroits auxquels ils appartenaient et qu'ils ne pouvaient atteindre. Il stipula qu'un paysage devait être « marchable », « visible », « accessible » et « habitable ». Si un paysage remplissait ces critères, il serait un chef-d'œuvre. Il a écrit : « Tous les peintres devraient garder cela en mémoire quand ils peignent et tous les critiques d'art devraient s'en souvenir lorsqu'ils jugent. » Cela expliquerait la différence entre un paysage chinois et un paysage occidental. Un peintre chinois de l'antiquité se concentrait très rarement sur les détails ou sur une petite partie d'un paysage. Tous les paysages chinois depuis les dynasties des Tang et des Song contiennent non seulement des montagnes et des eaux, mais aussi des chemins conduisant au sommet de ces montagnes, et des routes s'entrecroisant, des bâtiments au flanc des collines, des gens sur les routes et des bateaux sur l'eau. Les Chinois disent qu'on « lit » une peinture, c'est-à-dire qu'on apprécie son contenu et jouit de sa signification spirituelle.

Guo Xi a aussi discuté en détails de la composition d'un tableau. Il a écrit : « Mille li de montagnes ne peuvent dire la merveille au complet, dix-mille laissent encore une partie de la beauté en dehors. Une simple ligne sur le papier n'est pas différente d'une carte géographique. » Pour lui, la composition d'un paysage doit exposer la vue d'ensemble pour l'essentiel, la « grande forme » et la « grande vue ». Ce fut un développement ultérieur de la théorie taoïste que « la grande forme semble vague ». Guo a aussi comparé une peinture au corps humain : « Pour la montagne l'eau est une artère ; l'herbe et les plantes sont les cheveux ; la brume et les nuages sont les couleurs de la vie. Une montagne prend vie quand elle a de l'eau ; elle devient vivante quand elle a de l'herbe et des arbres ; et elle devient vibrante quand elle a de la brume et des nuages. Pour l'eau, la montagne est la figure ; les bâtiments sur les rives sont les yeux ; les pêcheurs sur la rivière sont l'âme. L'eau devient charmante quand elle a une montagne à décorer ; elle devient lumineuse quand il y a des bâtiments ; elle devient spacieuse quand il y a des pêcheurs. Voilà l'essence de la composition d'un paysage. »

Quand les valeurs humaines et morales sont appliquées à une peinture, elles influencent nécessairement la façon dont le peintre voit le monde. Guo Xi a utilisé trois types d'éloignement pour l'illustrer :

«Il existe trois types d'éloignement pour une montagne. Quand on la regarde de bas en haut, l'éloignement est en hauteur ; d'avant en arrière, l'éloignement est en profondeur ; et si on regarde de près à loin, l'éloignement est l'horizon. »

« L'éloignement en hauteur, en profondeur, et à l'horizon » dirige notre vue d'un point de la peinture vers un endroit tout à fait au-delà, sur la « grande vue » et sur un univers infini. Il y a là une signification symbolique de « dans le monde » et « hors du monde ». Les gens de l'élite culturelle s'efforçaient une bonne partie de leur vie de devenir mandarins dans un monde matériel. C'était « dans le monde ». Mais en même temps ils ne laissaient pas leur esprit se gâter par les tentations du monde matériel et espéraient que le paysage leur donne un sens de pureté et de noblesse. La conception artistique du paysage était étroitement liée à l'« éloignement », c'est-à-dire que l'éloignement symbolisait leur « hors du monde ». Cette philosophie de la composition picturale satisfaisait les besoins spirituels de l'élite culturelle. Si un peintre perdait son admiration pour l'« éloignement », un paysage devenait une peinture de paysage. Il ne devait pas être limité par les détails d'une scène qui compromettraient son effort spirituel.

Les artistes chinois disent souvent que le cheval complet est dans le cœur, le bambou mûr est dans le cœur, la vallée est dans le cœur, etc. Cela signifie que les artistes doivent d'abord avoir une maitrise profonde, sure et complète de l'existence naturelle et une mémorisation vivante d'une scène naturelle, et ensuite préparer la peinture et le papier pour commencer à dessiner. Avec le pinceau en main, le papier blanc et le ciel lumineux, exprimer l'émotion libre de tout dérangement de l'apparence matérielle. La soie et le papier étaient considérés comme un monde vague et un univers infini et indéfini. Le pinceau et la plume étaient les véhicules de leur effort. Ils voulaient que la plume et le pinceau voyagent librement sur la soie ou le papier pour refléter leur liberté dans un univers intime. Outre son contenu visuel, un paysage doit avoir une signification implicite. Les peintres de paysages ont toujours laissé beaucoup de vide dans leur composition. C'était de l'espace pour l'imagination. Par exemple, l'espace vide dans l'eau autour d'un poisson et dans le ciel autour des oiseaux donne l'impression de la présence d'un univers toujours existant.

La peinture traditionnelle chinoise était fondamentalement de nature abstraite. Bien qu'il n'y eût pas d'abstraction absolue dans la signification originale de la peinture, les objets représentés n'étaient pas une copie directe de la nature, mais plutôt une combinaison de l'harmonie entre le monde naturel et les émotions humaines, un produit du « ciel (nature) et de l'homme ». L'effet que les peintres chinois voulaient produire dans leurs œuvres n'était pas un effet visuel de couleurs et formes comme pour leurs pairs occidentaux. La description des objets n'était aucunement soignée, et l'on se préoccupait bien peu de facteurs comme la couleur, le principe de la perspective, l'anatomie, l'effet tactile et la dimension relative. Ce que les peintres voulaient reproduire était le monde immatériel de leur esprit. La nature n'était pas un objet à copier pour « faire vrai » mais plutôt des éléments qui leur servaient à bâtir leur propre monde.