Fin de la Peinture Chinoise des Érudits

Les « huit excentriques de Yangzhou » du milieu de la Fin de la Peinture Chinoise des Éruditsdynastie des Qing devraient être considérés comme les derniers maitres de la peinture des érudits. A partir des règnes de Jiaqing (1796-1820) de Daoguang (1821-1850) de la dynastie des Qing jusqu'au début du XX1' siècle, la société traditionnelle ne cessa de décliner. Il en résulta que l'environnement culturel dans lequel les lettrés traditionnels avaient vécu disparut rapidement. L'influence occidentale avança vers l'Orient sur une étendue et à une vitesse jamais connues par le bouddhisme depuis plus d'un millénaire. Il y eut inévitablement un grand changement dans le domaine de la peinture. Les peintures des lettrés et de la cour déclinèrent peu à peu. Shanghai et Guangzhou, deux ports commerciaux, devinrent le nouveau centre de la peinture avec la lignée Hai (Shanghai) et la lignée Lingnan comme représentantes d'une nouvelle ère. La lignée Hai combinait les styles chinois traditionnels avec les tendances occidentales de peinture nouvellement arrivées.

Les « huit excentriques de Yangzhou » ou la lignée de Yangzhou désignait un groupe de peintres érudits de Yangzhou au milieu du XVIir siècle formé de Jin Nong, Huang Shen, Zhen Xie, Li Shan, Li Fangying, Luo Pin, Hua Yan, Gao Fenghan, Min Zhen, Bian Shoumin et plusieurs autres. Les « huit excentriques de Yangzhou » montraient tous une forte personnalité dans leurs œuvres. Leur attitude face aux traditions picturales formait un contraste frappant avec celle des « quatre Wang et Wu et Yun ». Ils copiaient rarement les peintures de ce qu'on appelait la lignée du Sud, mais suivaient au contraire le style de Shi Tao, et considéraient Xu Wei et Bada Shanren comme leurs maitres artistiques. Les « huit excentriques de Yangzhou » n'étaient pas particulièrement forts en paysages. Leur spécialité était la peinture d'oiseaux, de fleurs, de pruniers en fleurs et de bambous. Ils se considéraient parfois eux-mêmes comme des pruniers, orchidées, bambous et chrysanthèmes en épanouissement. Les quatre fleurs avaient, selon le point de vue chinois traditionnel, des caractéristiques d'érudits.

Durant le règne de Qianlong (1736-1795) des Qing, Yangzhou était une ville de consommation prospère et d'activité commerciale animée. Plusieurs de ces érudits vivaient de la vente de leurs peintures et calligraphies. Comparées aux paysages minutieusement composés, les peintures de fleurs-et-oiseaux convenaient mieux à la peinture à main libre, et les artistes pouvaient se limiter à quelques traits simples pour faire rayonner l'élégance des caractères chinois.

Des « huit excentriques de Yangzhou », Jin Nong (1687-1764), aussi appelé Dongxin Xiansheng, et Zheng Xie (Zheng Banqiao) étaient considérés comme possédant les plus typiques caractéristiques des lettrés. Jin Nong avait toujours vécu dans la pauvreté et se montrait très cynique envers la société. Il aimait voyager et avait visité plusieurs monts célèbres. On dit qu'il n'a commencé à peindre que dans la cinquantaine. Au début, il étudia le style de Wen Tong de la dynastie des Song et de Wang Mian de la dynastie des Yuan, et il développa progressivement sa propre signature de simplicité qu'on appelait « style de Jin Nong ». Il peignait souvent les fleurs à l'encre légère, et les branches de prunier au pinceau sec. Il lui arrivait parfois de peindre un paysage et des gens avec un rythme unique et selon sa personnalité.

Zheng Banqiao était un fonctionnaire de rang inférieur. Il s'aliéna l'autorité quand il demanda avec insistance des secours d'urgence pour le peuple lors d'une calamité naturelle. Il démissionna et alla à Yangzhou où il vécut de la vente de ses peintures. Comme Bada Shanren et Shi Tao, il peignait pour exprimer son ressentiment, son dédain de la société et sa droiture morale sur un fond de corruption. Il peignait seulement à l'encre et ses compositions consistaient en orchidées et bambous avec un effet visuel très fort. Toutefois, aux yeux des érudits traditionnels, elles manquaient de grâce et de charme.

On considérait que les peintres du port commercial de Shanghai appartenaient collectivement à la lignée Hai. Le but de certains d'entre eux dépassa la peinture des érudits traditionnels, avec Zhao Zhiqian (1829-1884), Ren Bonian (1840-1896), Wu Youru (1840-1893) et Wu Changshuo (1844-1927) comme représentants typiques. Durant cette période, les lettrés n'avaient plus de riche famille pour les appuyer ni ne jouissaient du haut statut social dont ils avaient l'habitude. Ils étaient descendus à l'état d'artisans ou d'ouvriers qui faisait qu'on les méprisait souvent.

Zhao Zhiqian arrivait à peine à vivre de sa peinture. Alors, il ne pouvait apprécier les inestimables calligraphies et peintures anciennes comme le faisait Dong Qichang. Ses peintures de fleurs-et-oiseaux devaient répondre aux demandes de ses clients, mais il s'efforçait encore de poursuivre la tradition et les critères de grâce et d'élégance des érudits. Comparées aux œuvres de ses prédécesseurs du début de la dynastie des Qing et de la fin des Ming, les peintures de Zhao étaient plus méticuleuses et vivement colorées, pour le bonheur autant du public ordinaire que du cercle érudit dont Ren Bonian était un apprenti en décoration d'éventails.

Ren Bonian n'était pas un érudit très traditionnel selon les critères mais il était un talent en voie d'épanouissement et excellait particulièrement en portraits et en peintures de fleurs-et-oiseaux. Ren peignait à l'encre, en traits légers et gracieux, et dépassa la plupart des peintres de la cour par sa précision, sa méticulosité, son éclat et sa clarté. Il peignait chaque détail d'une fleur, d'une herbe, d'un insecte ou d'un poisson. Ses portraits étaient de première classe, et les sujets représentés avec précision et grâce.

Wu Youru fut le premier à transformer la peinture traditionnelle chinoise en une industrie moderne. La dixième année du règne de Guangxu (1884), il fut employé comme rédacteur en chef et peintre en chef du Dianshizhai Huabao, un supplément sur la peinture du Shenbao (Shanghai News). Pendant plus de dix ans, il publia plus de quatre-mille peintures dans le journal. Il accompagnait les peintures d'articles illustrés de dessins de lignes. Il peignit aussi plusieurs tableaux de terres étrangères comme des trains, des bâtiments, des bateaux, des canonnières et des personnes, qui étaient bien accueillis du public.

Comme Ren Bonian, Wu Changshuo était un peintre de carrière, mais il avait une préparation littéraire plus approfondie. Avant de commencer à peindre, il avait été le premier président de Xileng Yinshe, une société d'art très célèbre de Hangzhou. Wu Changshuo était un disciple de Ren Bonian, mais son style fut largement influencé par Zhao Zhiqian et Chen Chun, Xu Wei, Badashan Ren, Shi Tao et « les huit excentriques de Yangzhou ». Les réalisations de Wu Changshuo en calligraphie favorisèrent beaucoup sa peinture. Il avait un talent pour écrire en divers styles au pinceau souple fait de poils de chèvre et selon l'inspiration qu'il avait gagnée en peignant plusieurs sujets chacun avec son type particulier de traits : la force et l'élasticité du lishu (un type d'écriture officielle développée sous la dynastie des Han), le zhuanshu (style de calligraphie utilisé dans la gravure de sceaux) dans les peintures de branches ; les vibrations et l'enthousiasme du xingshu (calligraphie de style à main courante), et le caoshu (écriture cursive) dans les peintures de chrysanthèmes et de raisins.

Il dépassa Zhao Zhiqian dans l'utilisation de la couleur. Il étudia et adopta plusieurs techniques utilisées dans l'art populaire et la peinture occidentale. Il mêlait constamment le rouge, le jaune et le vert en un brun rougeâtre à la recherche de l'harmonie dans les conflits.

Ce qui arriva à la lignée Hai et à d'autres peintures de la fin des Qing montrait clairement une société en voie de changement et les tendances réunies de l'art en général et de la peinture en particulier. L'ère des érudits était sûrement et définitivement terminée. Avec l'abolition du système d'examens impériaux, les érudits traditionnels n'avaient plus aucun espoir de devenir fonctionnaires et, théoriquement, ils ne seraient que des citoyens ordinaires tout le reste de leur vie. Leurs rêves de vivre en réclusion à travers la peinture érudite semblaient si ridicules qu'ils durent vivre dans une réclusion sociale chaque jour et pour toujours. Cependant, les critères esthétiques de la peinture des lettrés développés pendant plus d'un millénaire d'histoire impériale étaient devenus une partie de la culture de la nation chinoise et occupent encore une place dans la société. Les peintres n'abandonnèrent pas ces critères simplement à cause des changements sociaux. L'héritage des peintres érudits continua de vivre dans le papier et les traits de pinceau qui avaient un jour servi leurs buts. Ces peintures étaient étroitement liées aux émotions du peuple chinois et à ses approches et expériences de la nature et du monde. Quand un Chinois et un étranger rencontrent le terme de « peinture chinoise », leur compréhension peut être entièrement différente. L'étranger peut croire qu'on parle de toutes les peintures en Chine, tandis que le Chinois sait clairement qu'il s'agit de celles qui suivent le style de la peinture ancienne, et les peintures effectuées par les peintres érudits traditionnels. Lorsque la peinture à l'huile et les styles qui lui sont associés arrivèrent d'Occident en Chine, ils eurent une grande influence sur l'art pictural de la Chine. Il est donc nécessaire de conserver le concept de « peinture chinoise », un terme qui comprend toutes les caractéristiques de l'esthétique traditionnelle et ses modes d'expression pour la continuité historique.