Wu Daozi - La Saga de la Peinture Chinoise

Le peintre le plus extraordinaire des Tang est Wu Daozi, et il est aussi considéré par la plupart des collectionneurs comme le plus grand talent jamais connu avant ou après lui. Le grand poète Du Fu l'a appelé « saga de la peinture ». Dans Archives des peintures célèbres des dynasties du passé on lit : « Wu marchait sur la ligne du temps de la perfection artistique mais ne pouvait voir Gu Kaizhi et Lu Tanwei devant lui, et s'il tournait la tête, personne ne suivait. » Il était seul. Le grand poète et peintre des Song, Su Shi, a dit : « Pour les poètes, vous ne pouvez dépasser Du Zimei (Du Fu) ; pour les écrivains, vous ne pouvez aller au-delà de Han Yu ; pour les calligraphes, pas plus loin que Yan Zhengqing ; et pour les peintres, que Wu Daozi. [Il rassemble] tous les développements du passé au présent sans exception. » Tous les livres d'histoire de la peinture sans exception ont louange son accomplissement et reconnu qu'il est « la saga de la peinture de centaines de générations ».

Wu Daozi (685-785) est né dans une famille pauvre de Yuxian dans la province du Henan. Il a commencé à étudier la calligraphie dès son jeune âge et s'est tourné plus tard vers la peinture. À l'âge de 20 ans, quand son talent commençait à briller, Wu s'est rendu dans la capitale d'alors, Luoyang, en amateur. Peu après, l'empereur Xuanzong qui avait eu vent de sa réputation l'a nommé lettré de la cour. La période pendant laquelle Wu Daozi a vécu est celle du sommet de la prospérité de la dynastie des Tang. L'empire jouissait alors d'une puissance économique sans précédent et de liberté et créativité artistiques. Dans les deux capitales, Luoyang, capitale de l'est et Chang'an, de l'ouest, se rassemblait l'élite culturelle, et les meilleurs, comme des étoiles, brillaient l'un pour l'autre. Archives des peintures célèbres des dynasties du passé dit : « Jusqu'à maintenant, l'empire des Tang a goûté la prospérité pendant près de 230 ans, tous les talents rassemblés se sont enrichis mutuellement, et les périodes les plus actives ont été celles de Kaiyuan et Tianbao du règne de Xuanzong », où les peintres importants des Tang, Wu Daozi, Wang Wei, Zhang Zao, Li Sixun, Cao Ba, Han Gan, Chen Hong, Xiang Rong, Liang Lingzan, Zhang Xuan et Yang Huizhi ont vécu. Avec de nombreux autres artisans de la peinture, ils ont rivalisé de créativité et au cours du processus, se sont enrichis l'un l'autre et ont créé une période extraordinaire de variété et de prospérité artistique. Dans ce milieu et cette atmosphère artistiques est arrivé Wu Daozi ; il a montré son magnifique talent et s'est rapidement élevé jusqu'à son apogée. » Archives des peintures célèbres des dynasties du passé accorde aussi à la « saga de la peinture » une dimension presque mythique : « Il excellait à peindre les personnages du taoïsme et du bouddhisme, mais il a aussi déployé son immense talent dans la peinture d'autres sujets comme le shanshui, les oiseaux et animaux, les herbes et les arbres, les pavillons et pagodes, presque tout dans sa spécialité. »

Wu a peint environ quatre-cents fresques de sujets bouddhistes dans les temples de Luoyang et de Chang'an, et chacune est unique par ses caractéristiques et les divers éléments qu'elle met en valeur. L'auréole au-dessus du Bouddha, les piliers et colonnes, les arcs et cadres étaient dessinés d'un seul coup et sans l'aide d'une règle ou d'un compas. Son unique branche d'orchidée et feuille de Brasenia, qu'on dirait des robes froissées, semblent transporter une douce brise, et ce style de peinture porte le nom particulier de « vent de Wu ». Wu a souvent peint spontanément en public au temple Xingshan de Chang'an, et les gens se bousculaient pour visiter le temple à ces occasions afin de voir le maitre à l'œuvre, appliquant sa technique personnelle d'un seul trait de pinceau, et pour jouir de la création de chefs-d'œuvre qui se déroulait sous leurs yeux. Wu Daozi a aussi souvent utilisé la méthode de peinture méticuleuse pour décorer palais et temples comme les artisans et est devenu maitre du principe artistique de « suivre le rythme et perfectionner chaque chose ». Par conséquent, il n'était pas vu seulement par l'élite culturelle comme « saga de la peinture » mais aussi considéré par les peintres et décorateurs artisans comme leur grand maitre.

Wu Daozi - La Saga de la Peinture Chinoise

Copie d'une peinture de Wu Daozi.

Wu Daozi était doté d'enthousiasme et a poursuivi vigoureusement sa carrière en arts, tout comme Michelangelo durant la Renaissance. Dans Archives des peintures célèbres des dynasties du passé on lit : « Les arches de Wu Daozi sont comme des lames, ses lignes comme des colonnes et piliers, et tout est fait sans recours au compas ou à la règle. » Quand il peint des personnages, peu importe la taille, il peut commencer par les mains et bras ou les pieds et jambes, et il demeure en mesure d'équilibrer et de maitriser la composition générale. En combinant la méticulosité d'une calligraphie et la créativité d'une grande imagination, il a peint plusieurs images vivantes au-delà de toute comparaison, remplies de rythme et de magie multicolore. Ses œuvres n'exagèrent pas délibérément l'éclat du ciel et l'horreur de l'enfer, et son inspiration venait principalement de sa profonde observation de la réalité terrestre. Son style solide et libre a formé un remarquable contraste avec la grâce et l'élégance du style de son prédécesseur Gu Kaizhi. Toutefois, une caractéristique commune les relie : ils imitaient le principe de la calligraphie, en particulier par l'usage raffiné de la plume et l'attention portée à l'ensemble de la composition.

Wu Daozi a été formé à la peinture artisane et a aussi été disciple de grands calligraphes de la période Tang, Zhang Xu (date de naissance inconnue, période la plus active durant le règne de Xuangzong), et He Zhizhang (env. 659-744). Il était particulièrement attaché au style caoshu (écriture cursive rapide) et ses œuvres rayonnent du rythme caoshu vibrant de la « calligraphie ».

Wu Daozi a passé presque toute sa vie à peindre des fresques à sujet religieux comme les enseignements du bouddhisme et du taoïsme. Dans le corridor nord de la pagode de l'ouest du temple Qianfu, il a créé un bodhisattva à sa propre image. Par la suite, Han Gan fera de même dans ses fresques religieuses La prostituée Xiao Xiao écrivant sur la chasteté et Une colonne de maîtres. Ils ont tenté symboliquement de briser les restrictions des stricts enseignements religieux et d'être créatifs dans un monde divin. Wu ne voulait pas

agir en gardien de la religion mais en artiste ordinaire jouissant de liberté d'esprit et d'expression artistique. Il a même conduit des aristocrates en enfer dans L'enfer : illustration d'un enseignement.

Wu fut aussi un brillant peintre de paysages. Quand l'empereur Xuanzong l'envoya au Sichuan étudier les sites et les scènes locales d'importance, il lui demanda de rapporter des esquisses des endroits visités afin qu'il puisse les peindre à son retour. Or, Wu revint de sa mission sans aucune esquisse. L'empereur était très désappointé et ennuyé par ce manque de soin. Toutefois, Wu se présenta à la cour calme et confiant et se mit à peindre sans hésitation. Sous les yeux de l'empereur et de la cour, des centaines de kilomètres de la rivière Jialin et la vaste terre exubérante du Sichuan apparurent en un éclair. Il termina son tableau en une seule journée, au grand ébahissement de la cour.

Wu Daozi - La Saga de la Peinture Chinoise
Fresque, grotte n° 103 de Mogao sculptée durant l'âge d'or de la dynastie des Tang, une représentation vivante de Vimalakirti.

La peinture religieuse des Tang suivait les traditions de plusieurs dynasties antérieures, dont « le style de la famille Cao » était le plus populaire, un style établi par Cao Zhongda (date de naissance inconnue, période la plus active 550-577). Son style de peinture bouddhiste était une transformation locale de la formule picturale bouddhiste originale, et il peignait l'anatomie de personnages habillés de vêtements adhérents. Ce style était appelé « robe hors de l'eau de Cao ». Au cours de ses jeunes années, Wu Daozi a souvent utilisé les lignes délicates et un style de peinture compact et concis. Plus tard, il a adopté un moyen d'expression plus musclé et libre, recourant souvent à des lignes fortes mais suaves alternant avec des traits de pinceau fins et vibrants - sa signature « lignes de feuille de Brasenia ». Il y avait souvent des espaces entre ses traits, montrant une brisure de la ligne mais un rythme continu.

Le peintre Zhang Sengyou et lui créèrent collectivement le style shuti (style relâché), contraire du style miti (style compact) de Gu Kaizhi et Lu Tangwei. Wu Daozi s'est aussi éloigné du « style de la famille Cao » de peinture religieuse, et a marqué le début d'une approche locale. Durant les Six Dynasties, la dynastie des Sui et le début des Tang, le style de la famille Cao domina, tandis que lorsque les Tang atteignirent le sommet de leur prospérité, c'est le style local de Wu qui domina la peinture religieuse. Wu Daozi était un artiste très prolifique et quatre-vingt-treize de ses œuvres sont dans Collection de peintures Xua7ihe, dont Présentation d'un sceau à l'empereur, Zhong Kui à dix doigts, Le paon et l'empereur Ming, Le roi du Ciel avec une pagode, Le gardien des écritures bouddhistes.

Parmi ses œuvres, Le roi du Ciel donnant un fils est la plus importante. Elle raconte l'histoire de la naissance du bouddha Sakyamuni, fils du roi Suddhodana, et se trouve actuellement au Musée d'art municipal d'Osaka. Le Portrait du Bouddha est maintenant au temple Toufuku, à Kyoto au Japon. On croit que les deux œuvres sont seulement des copies à son nom. Son autre œuvre importante, Livre des peintures en rouleau de Daozi, est une collection d'esquisses au pinceau et à l'encre sur papier. Une cinquantaine de pièces ont probablement survécu mais elles sont clandestinement sorties de Chine en 1911 et n'ont plus été revues depuis. Plusieurs des œuvres dites originales de Wu Daozi sont en fait des copies exécutées par des générations de peintres après sa mort. Ces copies ont beaucoup moins de valeur que les originaux mais elles sont des références précieuses pour l'étude du style et de la technique de Wu. Les originaux ont disparu pour toujours, les copies sont donc un trésor puisqu'elles sont tout ce qui reste du peintre saga.

Le roi du Ciel donnant un fils, aussi intitulé Naissance du bouddha Sakyamuni, a été un chef-d'œuvre sans précédent favori des connaisseurs de plusieurs générations. Le tableau repose sur l'enseignement bouddhiste et raconte l'histoire de la naissance de Sakyamuni dans la famille du roi Suddhodana. La section frontale dépeint un être céleste chevauchant un animal mythique de bon augure livrant un bébé, le roi du Ciel assis droit, avec une expression d'anxiété après avoir achevé une tâche très importante. Les courtisanes et les serviteurs autour de lui montrent tous la même anxiété. La section suivante de la peinture illustre le roi Suddhodana qui transporte délicatement le bébé, marchant lentement avec respect et grâce. Le Livre des peintures en rouleau de Daozi décrit plusieurs déités taoïstes terrestres et les êtres célestes qui leur sont associés. Les dieux marchant au-dessus des nuages et la présence de la cour céleste permettent de croire qu'ils sont au ciel. Toutefois, les êtres célestes de ces peintures ont l'apparence d'humains ordinaires de la dynastie des Tang. Plusieurs peintures ont décrit l'horrible tragédie et le châtiment de l'enfer sous forme d'illustration didactique bouddhiste, montrant le ciel et l'enfer, par coïncidence très similaires aux scènes de Satan et du purgatoire des poèmes épiques de la Renaissance en Europe.