Peintres La Peinture des Érudits: Su Shi et Mi Fu

Su Shi (1037-1101), dont le nom d'artiste est Zizhan, est aussi connu sous le nom de Dongpo Jushi. Né à Meishan dans la province du Sichuan, il devint fonctionnaire assez jeune et fut promu à un poste important à la cour impériale. Toutefois, dans sa maturité, il fut jeté en prison suivant sa participation à un incident politique et fut exilé plusieurs fois. Il ne bénéficia d'amnistie qu'à la veille de sa mort. Ayant connu des hauts et des bas au cours de sa vie, Su avait une philosophie extrêmement complexe, qui comprenait « la voie moyenne » et « la destinée céleste » du confucianisme, la sérénité et le contentement du taoïsme, le détachement et l'illumination du bouddhisme et la poursuite métaphysique de la longévité du taoïsme religieux. Su n'était pas un peintre de profession ; il ne peignait qu'occasionnellement des arbres morts, des bambous et des rochers bizarres. Les œuvres de Su qui sont parvenues jusqu'à nous sont toutes ornées d'inscriptions et de poèmes de Mi Fu et Liu Zuoliang qui garantissent l'identité de ces tableaux.

La poésie et la peinture étaient sûrement les passe-temps de Su. Toutefois, selon les critères confucéens, le « noble » Su croyait fermement que « le talent en art est l'équivalent le plus près de la vérité ». Cela signifie qu'en plus du repos physique et mental que procure l'étude les beaux-arts, les lettrés peuvent atteindre à travers elle une plus profonde compréhension de la vérité. Su disait que les images naturelles n'ont pas un état normal inchangeable et que dès lors, les imperfections servent, d'une certaine façon, à prouver les multiples facettes de la nature, ajoutant que la violation des principes communs de la vérité mènerait à l'échec total. Voici son commentaire sur une peinture de son ami Wen Tong (1018-1079): « Quand Wen Tong peint des bambous, il ne voit que des bambous. À mesure qu'il s'intègre dans les bambous, ses peintures paraissent d'une fraîcheur infinie. »

Wen Tong aimait peindre des bambous. Contrairement aux laïcs et aux peintres populaires qui cherchaient à reproduire chaque détail, il se concentrait seulement sur les bambous afin de pouvoir s'intégrer dans la nature et de réaliser une harmonie dans laquelle les scènes incarneraient ses sentiments face à la nature, un style que Su Shi appréciait hautement. Quand ils jouissent des paysages naturels, les lettrés passent immédiatement au-delà de l'existence physique pour atteindre une dimension spirituelle, et retirent du plaisir et de la relâchement de cette expérience. Su méprisait les peintres qui poursuivent automatiquement la ressemblance avec la nature. « Malgré sa superbe expérience, Wu Daozi est à peine un peintre artisan », commentait-il franchement.

Peintres La Peinture des Érudits: Su Shi et Mi Fu
Inscription manuscrite sur Poème pour la fête Hanshan à Hangzhou de Su Shi. Musée du Palais de Taipei.

Les peintres que Su admirait le plus n'étaient pas les artistes omnipotents comme Wu Daozi, mais ces lettrés qui avaient une solide instruction et pouvaient « aller au-delà des images » comme Wang Wei et Wen Tong. Ces artistes pouvaient transcender la ressemblance formelle pour arriver aux « principes communs » en utilisant les images naturelles comme moyen d'exprimer leurs sentiments profonds. Ils combinaient naturellement les images et la volonté humaine, exprimant ainsi leur ego unique avec leur pinceau.

« Un gentilhomme met ses pensées dans un objet, écrivait Su Shi, mais ne doit pas être obsédé par lui. S'il met ses pensées dans un objet, il tirera du plaisir même d'un objet insignifiant, tandis qu'il délaissera un objet de valeur. S'il est obsédé par lui, il sera accablé par l'objet insignifiant tout en ne trouvant pas de plaisir dans l'objet de valeur. »

Ce qui importe aux peintres érudits est la façon d'exprimer la nature dans leur esprit par des images. Ils doivent transcender les images au lieu d'être confinés par elles. S'ils accordent trop d'attention aux images, ils se retrouveront soumis à elles et frustrés dans leur poursuite du bonheur. Toutefois, s'ils peuvent aller au- delà des images, ils en tireront du plaisir, si insignifiantes qu'elles soient. Les valeurs de Su étaient une négation des critères de la dynastie des Song du Nord pour la peinture raffinée. Il séparait les peintres lettrés des peintres populaires et des professionnels, et croyait que les peintres érudits se concentrent sur « l'esprit » tandis que les autres ne touchent que la « surface ». La recherche de la ressemblance avec la nature est le but des peintres artisans, mais les lettrés ne doivent pas s'en préoccuper. Les peintres lettrés doivent au contraire chercher à améliorer la moralité et à nourrir la spiritualité. Selon Su, la raison pour laquelle la ressemblance ne doit pas compter est que la poursuite résulterait en une déviation de « la vérité ». Ce que le peintre érudit cherche à exprimer, ce sont les « principes communs » incarnés dans leur caractère et leurs aspirations que seuls les plus talentueux peuvent comprendre. Pour ses réalisations en littérature et pour son charisme remarquables, Su était suffisamment qualifié pour expliquer son point de vue. Mais si ses œuvres illustrent sa théorie, c'est une autre question.

Pour les érudits confucéens, la poésie, la calligraphie et la peinture sont des formes d'art qu'ils pratiquaient comme moyen de relaxation. Su a dit : « Ce qui ne peut être exprimé complètement par la poésie peut l'être par la calligraphie et la peinture, qui sont toutes deux des créations à l'encre. » Sa peinture Bambous et rochers (Zhushi tu) réalisée au hasard peut être considérée comme un exemple de peinture calligraphique improvisée des peintres érudits. Elle rappelle le style à main libre de Liang Kai dans ses peintures de poètes et êtres célestes de la dynastie des Song du Sud. Toutefois, malgré le style prévalant à la cour et à l'académie impériale à cette époque, les théories et œuvres d'éminents intellectuels comme Su Shi et Mi Fu indiquent clairement un tournant dans l'objectif des peintres.

Mi Fu (1051-1107), un ami de Su, écrivait des poèmes et des essais et pratiquait la calligraphie et la peinture. Il était aussi un expert en authenticité des peintures et un collectionneur d'œuvres célèbres. Mi et Su étaient tous deux des maitres de calligraphie, appelés « nos grands calligraphes » de la dynastie des Song avec Cang Xiang et Huang Tingjian. Dong Yuan, pseudonyme de Mi, avait un style innocemment irrégulier dans ses paysages, dont la plupart étaient à l'encre.

Peintres La Peinture des Érudits: Su Shi et Mi Fu
Peinture en rouleau, inscription manuscrite sur Recueil des poèmes de Tiaoxi (189,5 cm x 30,3 cm) (détail) de Mi Fu. Musée du Palais impérial de Beijing.

Mi Youren (1086-1165), fils de Mi Fu ou Jeune Mi comme on l'appelait généralement, poursuivit la tradition familiale et peignit surtout des montagnes dans les nuages. Il apporta un léger changement au style de son père, ce qui donna naissance à une nouvelle école de paysage. Des termes comme « montagnes nuageuses de Mi » et « école de Mi » sont souvent mentionnés dans l'histoire de la peinture chinoise. Les montagnes de Mi consistent habituellement en traits brefs et sont enveloppées de nuages changeants. Mi Fu a dit : « Je peins au hasard. La plupart de mes peintures montrent des arbres et des rochers cachés derrière les nuages et la brume et ne sont pas une représentation exacte de la nature. » De façon similaire, le jeune Mi appelait avec humour ses peintures des « jeux d'encre ».

En ce qui concerne la conception artistique, Su Shi était en faveur de « l'émotion, la fraicheur, la concision et le détachement », tandis que Mi Fu invoquait « le naturel, l'innocence et le gout classique ». Leurs points de vue coïncidaient, mais Mi, de tempérament fougueux, était plus extraverti. Les maitres du paysage largement reconnus des dynasties des Tang et des Song étaient surtout de la Chine du Nord comme Wu Daozi, Li Cheng et Guan Tong. Mi Fu, cependant, a dit que ses peintures « n'étaient pas aussi vulgaires que celles de Li Cheng et Guan Tong » et qu'elles « n'avaient rien en commun avec le style de Wu Daozi ». Il a aussi désapprouvé les peintres de la cour comme Guo Xi. Toutefois, il était prêt à chanter les louanges de Su Shi, qui n'était pas vraiment un peintre célèbre, pour ses peintures occasionnelles d'arbres, de bambous et de rochers. Il aimait particulièrement Dong Yuan, un peintre négligé de la Chine du Sud, qu'il a souvent gratifié des commentaires les plus positifs. La raison semble en être que Mi Fu trouvait une similarité entre les œuvres de Dong et celles de cent ans auparavant. Ses commentaires servirent aussi de manifeste artistique aux peintres lettrés de paysage dont il fut le représentant : « Dong Yuan, avec son style naturel et innocent, est sans rival sous la dynastie des Tang et est même meilleur que Bi Hong. La profonde dimension spirituelle de ses œuvres n'a pas eu d'égale dans les dernières années. Par des montagnes, des brumes et des nuages changeants, ses peintures non embellies incarnent l'innocence. Le brouillard vert foncé et les branches robustes sont aussi représentés vivement. Avec leurs ruisseaux et rivières, leurs iles et leurs pêcheurs, ses peintures représentent les scènes typiques de la Chine du Sud. »

La notion de « peindre des montagnes dans les nuages comme un jeu avec l'encre » avancée par Mi Fu et son fils Mi Youren est une indication du style des peintres érudits. Les commentaires de Mi Fu sur Dong Yuan servent généralement à caractériser ses propres peintures tout aussi bien. Certains critiques ont souligné que si Dong essaie de capturer les changements structurels des montagnes et des arbres réels, Mi, qui ne fait que jouer une partie avec l'encre, sans aucun effort à cet égard. C'est qu'il était fortement influencé par le style inhibé de Su Shi. Dans Nuages légers au-dessus des pics lointains (Yuanxiu Qingyun tu) de Mi Youren, le contour des montagnes éloignées n'a pas été souligné. Au contraire, les montagnes sont formées de diverses couleurs. Basée non sur la réalité mais sur une scène éphémère dans l'esprit, la peinture à l'encre et au lavis incarne un gout mystérieux incomparable, ou le supposé « intérêt réel » de la nature. Il est étrange que Mi Youren ait utilisé les lignes typiques de Gu Kaizhi et Zhan Ziqian pour dépeindre les nuages et les brumes de ce tableau, ce qui montre que les peintres érudits comme lui cherchaient non seulement à transmettre directement l'« intérêt réel » mais aussi à reproduire certains stéréotypes de la peinture classique.