Le Réalisme Révolutionnaire

Dans les années 1920 et 1930, plusieurs peintres chinois qui partageaient les mêmes intérêts formèrent des groupes et lancèrent diverses activités. Pang Xunqin (1906-1985) fonda la société Jue Lan en 1932 pour promouvoir et présenter la peinture occidentale moderne au public en général. L'Association chinoise des arts indépendants fut fondée par des étudiants chinois revenus du Japon pour promouvoir le néoréalisme. Toutefois, ces associations ne réussirent pas à exercer une influence significative car elles n'agissaient que dans un espace et un temps limités à Shanghai.

Durant la première Exposition nationale des beaux-arts au début de 1929, la querelle entre Xu Beihong et Xu Zhimo sur l'appréciation des peintres occidentaux modernes indiqua la contradiction des valeurs des artistes à cette période. Xu Beihong dénonça l'impressionnisme et le fauvisme, appelant « peintures éhontées » les œuvres de Renoir, Cézanne et Matisse. Xu Zhimo prit vigoureusement la défense de ces artistes pour rétablir leur statut et leur valeur dans l'histoire des beaux-arts. À en juger par les peintures à l'huile de ce temps-là, davantage de peintres choisirent d'étudier l'impressionnisme et peu se mirent à la peinture à l'huile classique. Les peintres chinois qui arrivaient vraiment à maitriser les techniques classiques étaient rares.

Quand éclata la guerre de Résistance contre l'invasion japonaise, les peintres chinois firent de leurs œuvres des armes pour appuyer l'effort de guerre. Mettant de côté leurs différends, ils se joignirent à l'effort de guerre dans l'unité. Comme beaucoup d'autres citoyens ordinaires, ils perdirent leur domicile et commencèrent une vie de réfugiés. Ils goûtèrent les joies et les peines de la société. Ils allèrent vers des régions lointaines du nord-ouest et du sud-ouest de la Chine où ils étaient encore sous la gouverne des nationalistes. Leur nouvelle expérience de vie leur inspira d'autres dimensions émotionnelles. Ils accumulaient des idées et réservaient leurs énergies pour de nouvelles fonctions des arts. Plusieurs mouvements et formes de beaux-arts commencèrent avant la fin de la guerre. De nombreux peintres qui étaient impliqués changèrent leur style afin d'apporter leur contribution à la société en peignant des images réalistes de propagande afin d'appuyer le mouvement contre l'agression japonaise. Xu Beihong écrivit que la guerre contre l'agression japonaise avait promu la peinture réaliste de la Chine et il exprima sa joie de voir qu'autant de mouvements de nouvelle peinture avaient disparu pendant la guerre.

Le Réalisme Révolutionnaire,La Peinture Chinoise Moderne
Un si beau paysage (65 cm x 30,2 cm) de Fu Baoshi, 1959. Collection privée.

Après la défaite du Japon, les modernistes émergèrent de nouveau. En 1945, Lin Fengmian, Ni Yide, Guan Liang, Li Zhongsheng, Yu Feng, Zhao Wuji et Yu Yanyong organisèrent la première exposition de l'Association chinoise des arts indépendants. Toutefois, l'effort pour rétablir les nouveaux mouvements d'art fut très court et les activités s'arrêtèrent en 1949. Bien que la peinture réaliste et le concept taoïste de se servir de l'art pour promouvoir le Dao (la voie de la vérité) eussent dominé le domaine de l'art, l'art noble - aussi bien les peintures des érudits que les peintures classiques occidentales -, ne semblait pas approprié en temps de guerre.

La gravure sur bois qu'il était facile de réaliser en présentations claires fut très populaire en Chine dans les années 1920, 30 et 40. Le plus grand romancier et critique d'art du XXe siècle, Lu Xun (1881-1936), fut un promoteur actif de la gravure sur bois de la Chine moderne. Sous son influence, plusieurs brillants et vigoureux jeunes artistes se rassemblèrent à Shanghai, centre culturel et artistique de la Chine d'alors, et se vouèrent au Mouvement de la nouvelle culture. La gravure sur bois à Shanghai durant la décennie 1930 suivit le style occidental à cause de l'influence de l'expressionnisme allemand promu par Lu Xun. Pour plusieurs jeunes peintres chinois en colère, les peintures de l'artiste allemande Kathe Kollwitz (1867-1945) représentaient les voix et les images des prolétaires et révolutionnaires étrangers au-delà des frontières nationales. Les premières œuvres de Li Hua (1907-1944), Jiang Feng (1910-1982) et Huang Xinbo (1916-1980) montraient leurs efforts pour trouver un langage international et mutuellement compréhensible. Le 2 juin 1932, l'Institut des beaux-arts Chundi, fondé par les membres de l'Alliance des artistes de gauche, organisa une exposition de gravures sur bois à Shanghai et plusieurs gravures allemandes de la collection de Lu Xun furent montrées au public.

En 1942, le chef du Parti communiste chinois, Mao Zedong, publia son célèbre article Note de lecture à Yan'an sur la littérature et l'art. Il proposait que la littérature et l'art servent la politique, l'évolution et l'effort de guerre, et servent les ouvriers, les paysans et les soldats, et que la littérature et l'art soient soumis aux exigences stipulées par le Parti communiste chinois à chaque

période spécifique de l'histoire. Les paroles de Mao Zedong exercèrent une profonde influence, et se répandirent dans tout le pays par divers canaux. Durant la guerre de Résistance à l'agression japonaise, plusieurs intellectuels progressistes, comme les graveurs sur bois de l'aile gauche, à Shanghai, arrivèrent à Yan'an de tous les coins de la Chine. Durant cette période de guerre et de révolution, la peinture chinoise traditionnelle avait perdu sa popularité, surtout celle des peintres érudits qui prônaient une facture délibérée. Dans le milieu difficile de la région Shaanxi-Gansu-Ningxia contrôlée par le Parti communiste, seulement quelques peintres étaient encore engagés dans la peinture à l'huile. La plupart des artistes adoptèrent cependant les formes d'art les plus populaires qui convenaient aux buts politiques, et plusieurs se mirent à la gravure sur bois. Les idées politiques et artistiques de Lu Xun, et le réalisme de Xu Beihong et sa conviction que « l'esquisse est la base de toute forme d'art de modelage » correspondaient à la doctrine de Mao Zedong sur la théorie de l'art et étaient devenus le courant principal des arts à Yan'an. La gravure sur bois était le seul canal de l'art, mais les artistes à Yan'an n'avaient pas mis fin à leur effort artistique et avaient cumulé les expériences réussies. Ils croyaient que les traditions passées devaient servir les besoins du présent et que les arts étrangers devaient répondre aux besoins de la Chine proposés par la théorie de Mao Zedong. Comparées aux gravures sur bois des années 1930 à Shanghai, leurs œuvres étaient plus fluides, plus nationalistes et plus réalistes.

Durant la période initiale de la nouvelle Chine (1949), les peintres firent face à de nouveaux sujets et à plusieurs problèmes liés à l'époque comme la relation entre l'art et la politique, comment répondre aux besoins des ouvriers, paysans et soldats, et comment expérimenter la vie du peuple ordinaire. Chaque peintre avait une tâche d'ajustement à remplir dans la nouvelle ère. Les peintures réalistes avec une touche d'idéalisme pour représenter les thèmes de la nouvelle vie de l'époque étaient très populaires chez les artistes. Les peintures à l'huile des années 1950 reflètent surtout l'histoire révolutionnaire et l'effort de construction d'une nouvelle Chine.

Le gouvernement choisit des étudiants qu'il envoya en Union soviétique et dans les pays socialistes d'Europe de l'Est apprendre la peinture, et invita des peintres soviétiques et roumains à enseigner dans les écoles d'art de Beijing et de Hangzhou. Les étudiants chinois apprirent non seulement les techniques de la peinture à l'huile, mais s'imprégnèrent aussi des méthodes de peinture du réalisme socialiste.

Le Réalisme Révolutionnaire,La Peinture Chinoise Moderne

Dong Xiwen, Cérémonie de fondation de la République populaire de Chine (310 cm x 176 cm), huile sur toile, complété en 1953.

Si l'on regarde les réalisations de cette période, les concepts et l'exercice de l'art extrême durant l'époque révolutionnaire du développement de l'art n'étaient pas tous destructifs, comme l'affirment certains. Il était urgent de réformer le domaine stagnant de l'art ; il fallait mettre fin aux peintures sans vie des érudits après les « quatre Wang ». La nouvelle société et le peuple chinois, qui avaient connu de grands changements, avaient besoin de nouvelles images visuelles. Le réalisme socialiste adopta avec succès ses nouvelles fonctions de promouvoir l'intérêt national et de dépeindre la nouvelle vie du peuple. Les artistes préféraient le style optimiste et exagéré des arts populaires même s'ils utilisaient les formes d'art traditionnelles. Ces peintures qu'on disait du « romantisme révolutionnaire » étaient à peine un mélange de l'héroïsme de la nouvelle ère, de l'intention utopique et des intérêts de la petite bourgeoisie. Pourtant, ces œuvres illustraient un nouveau style de confiance et de romantisme révolutionnaire et de réalisme révolutionnaire aux caractéristiques nationales nouvelles et traditionnelles.

L'implacable « révolution culturelle » (1966-1976) poussa le mouvement du nouvel art à ses limites. À partir de la fin de la décennie 1960, huit nouveaux opéras de Pékin sur des thèmes de réalisme révolutionnaire furent imposés à la société et utilisés comme modèles. Non seulement le théâtre mais toutes les autres formes d'art furent soumises aux huit opéras modèles, ce qui mena directement à l'apparition de plusieurs peintures aux scènes similaires.

Vues en rétrospection, ces peintures étaient facilement critiquées comme prétentieuses, exagérées et extrêmement politiques. Mais elles étaient toujours de l'art, et même si le peintre proclamait qu'il était entièrement au service de la politique, la présence du défi artistique ne cessa jamais. Laissant de côté les éléments politiques, les peintures produites durant la révolution culturelle se caractérisent par « le rouge, la gloire, et la lumière », signifiant probablement la construction d'un nouveau système visuel puissant qui requérait de nouvelles aptitudes et habiletés pour diriger l'expression artistique. C'était une combinaison unique de modernisme et de nationalisme, et le réalisme socialiste aux caractéristiques chinoises. Cette nouvelle forme d'expression ne se trouve ni dans la peinture traditionnelle chinoise comme la peinture des érudits ou la peinture populaire, ni dans les arts occidentaux classiques ou modernes. La sincérité et le courage dont les artistes firent preuve dans leur poursuite de l'art durant cette période complexe sont admirables.

Nous devons examiner quatre œuvres représentatives de l'époque pour illustrer l'effort artistique : la peinture à l'huile Cérémonie de fondation de la République populaire de Chine (Kaiguo Dadian) de Dong Xiwen, la peinture à l'huile Tunnel de la guerre (Didao Zhan) de Luo Gongliu, la peinture chinoise traditionnelle Le soleil rouge réchauffe des milliers de générations (Hongtaiyang Guanghui Nuan Wandai) de Kang Zuotian, et la peinture à l'huile Le président Mao inspecte les campagnes du Guangdong (Maozhuxi Shicha Guangdong Nongcun) de Chen Yanning. Les deux premières furent peintes dans les années 1950 tandis que les deux autres furent produites en 1971 durant la révolution culturelle. Kaiguo Dadian reproduit la scène sur la tribune de Tian'anmen le jour où la fondation de la nouvelle Chine fut annoncée. Le peintre était l'un des meilleurs de Chine et aussi un expert des fresques de Dunhuang. Cette œuvre illustrait l'intention de l'artiste de combiner le réalisme des techniques occidentales à la coloration morne de l'expression artistique chinoise. La deuxième, Tunnel de la guerre, montre le courage et la sagesse du peuple chinois durant la guerre de Résistance à l'invasion japonaise. Le peintre était un spécialiste de l'époque de l'École d'art Luxun de Yan'an. Cette peinture est une fusion parfaite de la détermination révolutionnaire et des techniques classiques occidentales de la peinture à l'huile. Le thème de la troisième peinture est le contraste entre les misères passées et les joies du présent. C'est une peinture traditionnelle chinoise de non-érudit faite des matériaux traditionnels que sont le papier xuan, l'encre et les couleurs. Les personnages du tableau sont vigoureux et clairs et le peintre a habilement tracé un portrait ressemblant des objets et du soleil brillant, symbole de la nouvelle société. Le président Mao inspecte les campagnes du Guangdong met l'accent, bien sûr, sur le président Mao. Mais le plus impressionnant sur cette peinture est l'image de la « nouvelle campagne socialiste » et spécialement des fermiers de la Chine du

Sud qui sont représentés. Si l'on regarde et discute ces peintures du point de vue des « beaux-arts du monde » et des « beaux-arts traditionnels chinois », on remarquera une caractéristique évidente : la création collective des peintres chinois durant cette période particulière de l'histoire est irremplaçable. Les produits artistiques sont toujours une partie de la société à laquelle ils appartiennent, et chacun d'eux est un symbole de la culture et du système social qu'il représente ; d'autre part, chaque produit d'art reflète l'histoire des efforts individuels et le voyage du développement personnel. Une fois le produit achevé, sa relation avec les faits particuliers concernés et le milieu social n'ont plus tant d'importance. Alors, les valeurs artistiques sont beaucoup plus précieuses que sa contribution sociale.