Les Peintres du Nord et du Sud

Zhao Mengfu du début de la dynastie des Yuan lança l'idée d'un « ancien sens » visant à retrouver l'intérêt perdu à la fin des Song du Sud et initia un retour aux classiques. Zhao lui-même et les « quatre maitres de la dynastie des Yuan » accomplirent le changement des styles de peinture tel qu'ils l'entendaient. Puis, après la chute des Yuan, durant les dynasties des Ming et des Qing, les influences négatives de la doctrine du « retour aux anciens » devinrent évidentes et la copie des anciennes peintures prévalut dans le monde de l'art. Même les peintres sans importance se déclaraient admirateurs de Huang Gongwang. Les peintres de la dynastie des Ming avaient totalement abandonné leur recherche de la nature. Ils respectaient encore la nature mais seulement dans les anciennes peintures. Ils étaient seulement enthousiastes de montrer leur style et leurs œuvres, ou comment les montagnes, rochers et arbres de leurs œuvres remontaient à certains peintres des dynasties passées. Ils étaient si amoureux des anciennes peintures qu'ils assimilaient la copie au plaisir de peindre. Pendant ce temps, la prospérité commerciale et la vie colorée du Sud réduisit les occasions de retourner à la nature et même les peintres considéraient que ce n'était pas du tout nécessaire.

La dynastie des Ming reprit l'Académie impériale de peinture qui avait été abandonnée sous les Yuan, et le milieu des peintres érudits retourna au sud du Changjiang. « Les quatre maîtres de l'école de Wu » près de Suzhou, Shen Zhou (1427-1509), Wen Zhengming (1470-1559), Tang Yin (1470-1523) et Qiu Ying (1493¬1560) représentaient le plus haut niveau de la peinture des lettrés de cette période. Vers la fin des Ming, l'école de Wu qui dominait céda sa place à l'école de Huating à Shanghai, avec Mo Shilong (1539-1587) et Dong Qichang (1555-1636) comme représentants. L'école de Wulin à Hangzhou, ou école du Zhejiang, représentée par Daijin (1388-1462) et Lan Ying (1585-1664) était, dans une certaine mesure, la continuation du style des Song du Sud représenté par Ma Yuan. Elle fut inévitablement influencée par la peinture des érudits de la dynastie des Yuan. Sous les Ming, il y eut un courant d'illustration et de formalisation des peintures des Song et des Yuan. Les peintres érudits de ces deux dynasties étaient contre le style formel de l'Académie impériale qu'ils considéraient comme une technique ornementale et un modèle conventionnel. Pour eux, la peinture n'était qu'un divertissement au pinceau.

Les Peintres du Nord et du Sud, La Peinture Chinoise de Paysages
Le mont Lushan (185,8 cm x 106,8 cm) de Jing Hao. Musée du Palais de Taipei.

Su Shi et d'autres peignaient seulement pour le plaisir et pour exprimer leurs idées, une expérience ou un moyen de chercher la vérité (Dflo). Après le développement sous la dynastie des Yuan, la peinture des érudits des Song avait accumulé suffisamment d'ceuvres classiques pour former ses propres normes et son système. En fait, les peintres érudits essayaient seulement de copier et imiter le succès des anciennes œuvres classiques. Les calligraphes, peintres et critiques des Ming indiquaient que jusqu'à Mi Fu et son fils, sous les Song, et aux « quatre maitres de la dynastie des Yuan », le développement, tel qu'ils le connaissaient, ne pouvait aller plus loin. Ils pensaient que leur tâche consistait seulement à interpréter et poursuivre leur œuvre, les traditions et les méthodes des peintres érudits.

Les œuvres de style méticuleux et autres de Shen Zhou et Wen Zhengming de l'école de Wu représentent cette période. Shen voua sa vie entière à la peinture, à la poésie, à la littérature et à la calligraphie. Il était un peintre érudit professionnel

Une de ses deux œuvres actuellement au Musée du Palais de Taipei, Le mont Lushan (Lushan Gao tu), semble majestueuse, grandiose et pleine de diversité. Le tableau entier recourt à diverses méthodes de texturation, une habileté lancée par Wang Meng de la dynastie des Yuan. Évidemment, le seul but de la peinture était d'illustrer les habiletés de Wang Meng, et Shen Zhou n'a pas utilisé cette technique dans aucune autre de ses peintures. L'autre œuvre, Assis la nuit (Yezuo tu), montre une image nocturne de montagnes avec des chaumières à leurs pieds et un homme assis, avec une chandelle allumée. Cette fois, Shen a utilisé un trait de pinceau humide et plus régulier, une technique de Wu Zhen, un autre des « quatre maitres de la dynastie des Yuan ». Shen a conservé le style tranquille, fier et concis de Wu. Au sommet de la peinture, Shen a écrit une prose du même titre (/4ss/s la nuit) de plus de quatre-cents caractères, un texte qui s'intègre à l'image et un exemple parfait de l'harmonisation de la littérature et de la calligraphie avec la peinture à cette époque. La prose, au style clair et rafraîchissant et plein de signification philosophique implicite, rapporte les réflexions du peintre quand il écoute le son de la nature dans sa chaumière la nuit, et démontre l'harmonie du « silence extérieur et de la tranquillité intérieure » contrastant avec les bruits du monde en général. Shen a même copié les œuvres de Dai Jin de sa propre période. Dai était un peintre de l'école du Zhejiang contemporain de Shen. On ne peut que spéculer : Shen a lu par hasard les œuvres de Dai, qui l'ont inspiré, et sa façon de trouver une meilleure voie était de suivre et copier les peintures des générations précédentes.

Wen Zhengming venait de la même ville que Shen et avait été son étudiant dans sa jeunesse. Tous deux ne souhaitaient pas devenir mandarins et étaient des célébrités locales qui maîtrisaient la poésie, la calligraphie et la peinture. Wen peignait surtout des paysages au pinceau fin et précis. Il utilisait souvent du bleu foncé et du vert en un style méticuleux gracieux et élégant aux connotations lyriques. Ses peintures de pruniers en fleurs et de bambous regorgent de fraicheur et de parfum exquis. Shen et Wen se ressemblaient sous plusieurs aspects. Ils venaient de familles riches et partageaient la même attitude de vie et d'expérience relativement simples, dispositions idéales pour jouir de la vie de peintres érudits.

Comparé à Shen Zhou et Wen Zhengming, Dong Qichang qui se place un peu après dans la période, avait le style plus actif des critiques d'art. Dong apprit l'essence de Dong Yuan, Ju Ran et Mi Fu des Cinq Dynasties et de la dynastie des Song du Nord et de Ni Zan et Huang Gongwang des Yuan, et peignait des montagnes, eaux, arbres et rochers vivants. Toutefois, le statut et l'influence de Dong dans l'histoire des beaux-arts venaient surtout de sa proposition de diviser la peinture chinoise en « lignées du Nord et du Sud ».

Dong Qichang, ou Xuanzai en art, était aussi connu sous le nom de Sibai, ou Xiangguang Jushi. Né à Huating (actuellement district de Songjiang de Shanghai), il fut candidat aux plus hauts examens impériaux, et devint mandarin et ministre. Il fut un temps précepteur du prince couronné. Il n'était pas seulement un artiste célèbre mais aussi un connaisseur et un collectionneur des chefs-d'œuvre des « quatre maitres de la dynastie des Yuan » comme Vivre au mont Fuchun (Fuchunshan ]u tu) de Huang Gongwang, de même que des œuvres de Dong Yuan, très rares à cette époque. Il s'illustra en peinture et en calligraphie et écrivit plusieurs livres pour exposer sa théorie de la peinture. Il fut un brillant promoteur de la peinture des érudits. Sa proposition de diviser les peintres en lignées du Nord et du Sud eut une grande influence sur le développement des beaux-arts en Chine. Elle expose en détails l'origine des divers styles de peinture et les critères pour juger les peintures des érudits.

Mo Shilong, aussi de Huating, fut le premier à discuter de l'extension des lignées du Nord et du Sud du bouddhisme dans son analyse de l'histoire de la peinture. Il écrivit : « Le bouddhisme se divisait en lignées du Nord et du Sud depuis la dynastie des Tang. Les peintures étaient divisées en lignées du Sud et du Nord, aussi depuis la dynastie des Tang. Cependant, les peintres ne devraient pas être divisés. »

Les Peintres du Nord et du Sud, La Peinture Chinoise de Paysagesr

Voyage en montagne(144,4cm × 56,8cm), Guan Tong, Musée du Palais de Taipei.

Les peintures étaient divisées en lignées du Sud et du Nord mais le critère de classification n'aurait pas dû être le lieu d'origine des peintres, mais uniquement le style de peinture. La lignée du Nord commença avec le premier artiste impérial, Li Sixun, et son fils sous la dynastie des Tang, puis continua avec Ma Yuan et Xia Gui de l'Académie impériale de peinture sous la dynastie des Song. La lignée du Sud remonte à Wang Wei, poète et artiste de la dynastie des Tang, pour continuer avec Dong Yuan des Cinq Dynasties, Mi Fu des Song et Huang Gongwang de la dynastie des Yuan.

Mo Shilong était un ami intime de Dong Chichang qui le suivait et un modèle. Ils échangeaient souvent des points de vue et avaient plusieurs idées communes. Dong suivit l'assertion de Mo et élabora davantage sur le développement de la peinture des érudits. « La peinture des érudits a commencé avec Wang Youcheng (Wang Wei) et a été développée par Dong Yuan, Seng Ju Ran, Li Cheng et Fan Kuan. Li Longmian, Wang Jinqin (Wang Xian), Mi Nangong et Hu Er (Mi Fu et son fils Mi Youren) ont appris de Dong et Ju, puis la tradition s'est transmise aux « quatre maitres de la dynastie des Yuan » Huang Zijiu (Huang Gongwang), Wang Shuming (Wang Meng), Ni Yuanzhen (Ni Zan) et Wu Zhonggui (Wu Zhen). Wen Zhengming et Shen Zhou de cette dynastie ont hérité du style et de son application. Cependant, des peintres comme Ma Yuan, Xia Gui, Li Tang et Liu Songnian ont suivi le style du Général Li qui était différent du nôtre. »

Chen Jiru, un autre natif de la même ville que Dong Qichang, continue : « L'école de Li (Li Sixun et la lignée du Nord) se caractérisait par un pinceau fin et ne suivait pas la mode des érudits tandis que l'école de Wang (Wang Wei et la lignée du Sud) avait les caractéristiques de Hui Neng et ne pouvait convenir à Shen Xiu. »

La théorie des lignées du Sud et du Nord se répandit rapidement à cause de l'influence de Dong Qichang. Elle donna la direction du développement de la peinture des érudits des dynasties des Ming et des Qing, et fournit pour la première fois un système théorique pour classer les peintures chinoises, similaire à celui de l'art italien et de l'art néerlandais durant la Renaissance en Europe. Elle sembla être une manière objective de classer les peintures chinoises selon leur style et leurs techniques, mais l'inclination de Dong en faveur de la lignée du Sud était évidente. Pour lui, la lignée du Sud désignait la peinture des érudits. L'éveil soudain, l'esprit d'érudition et la tranquillité étaient des vertus associées à la peinture des érudits de la lignée du Sud, une illustration caractéristique des mandarins qui servaient la cour tout en rêvant d'une vie de retraite au sein de la nature sauvage.