« Modernisme » et « Post-Modernisme »

En 1979, le Parti communiste chinois, durant la Troisième session plénière du XIe Comité central, adopta une mesure de porte ouverte et s'embarqua dans la tâche de conduire la Chine vers les « quatre modernisations ». La Chine entra dans une nouvelle ère. Les intellectuels et les artistes chinois jouirent du milieu académique et artistique le plus décontracté depuis 1949. Ils réfléchirent sur le passé et jetèrent leur regard le plus sérieux sur le monde. La rencontre tardive entre l'art chinois et l'art moderne occidental sidéra les intellectuels chinois qui venaient tout juste de traverser des tribulations sociales et une destitution spirituelle. Ils avaient une immense soif de connaissance. Leur impatience de rattraper le temps perdu et d'établir les contacts manques avec les développements artistiques du monde était sans précédent, rappelant l'enthousiasme des peintres érudits qui vénéraient leurs prédécesseurs.

Les produits artistiques de la nouvelle ère portaient encore les marques de la période à peine achevée. Si les jeunes artistes montraient un intérêt croissant pour les arts modernes, les familières peintures réalistes attiraient encore l'attention de la société. Par exemple, un groupe d'étudiants de l'Institut des beaux-arts du Sichuan exposa, au début des années 1980, plusieurs œuvres qui firent sensation ; elles décrivaient la révolution culturelle comme une tragédie. Leur talent était considéré comme naïf, mais leurs efforts pour réaliser des œuvres dans le style exhibitionniste des peintres russes du XIXe siècle et leur expression narrative firent écho aux sentiments du public. Neige un certain jour (Mounian Mouri Xue) de Gao Xiaohua rappelait Matin de l'exécution des Streltsy de Vasily Ivanovich Surikov. Seul le noble russe avait été remplacé par un garde rouge chinois. Luo Zhongli essaya de peindre un portrait d'ouvrier ordinaire similaire au portrait de Mao Zedong sur la tribune de Tian'anmen. Son chef-d'œuvre Mon père (Fuqin) remporta un énorme succès grâce à ses idées innovatrices.

Luo Zhongli admit être fasciné par le réalisme photographique populaire aux États-Unis. La Série d'images du Tibet (Xizang zutu) peintes par Chen Danqing de l'Académie centrale des beaux-arts de Beijing fut fort acclamée par les collègues du métier. Chen vécut son enfance à Shanghai, la seule ville de Chine où l'influence étrangère était alors accessible au peuple ordinaire. Les Images du Tibet portent la marque du réalisme français de l'époque de Jean-François Millet (1814-1875) et de Gustave Courbet (1819-1877). Le peintre était très fidèle aux esquisses qu'il avait réalisées au Tibet sans retouches inutiles ni les raffinements qui étaient populaires chez plusieurs peintres chinois.

Pintura China Moderna: Modernismo y Postmodernismo
Chen Danqing en 1976

Au cours de la décennie qui suivit, l'innovation devint un thème majeur. L'art occidental moderne était presque mort avec les années 1970, et les soi-disant ouverture et créativité n'étaient plus des sujets chauds. La Chine hérita du flambeau dans les années 1980 et développa l'héritage avec une incroyable énergie. Selon le critique d'art Gao Minglu, le milieu social dictait le développement de l'art et la Chine avait besoin d'un art d'élite dans la décennie 1980. Cette période assimilait l'art des pionniers à l'art d'élite. Les artistes accomplirent rapidement leur nouvelle Longue Marche. Ils expérimentèrent toutes les écoles de l'art occidental et trouvèrent avec confiance un style qui leur était propre. Vers 1985, les expositions de ce qu'on appelait art moderne se multiplièrent. Chaque exposition et même chaque artiste avait sa propre déclaration de modernisme. Heureusement, les expérimentateurs d'art moderne chinois autour de 1985 ne rencontrèrent pas une société de classe moyenne motivée par l'argent ; ils purent conserver leur innocente pureté en art. La première Exposition nationale d'art moderne de Chine à Beijing en 1989 ne connut pas l'habituelle atmosphère cynique associée à l'art moderne. Même les artistes dont la production était grotesque mentionnaient toujours la responsabilité et le destin. Ils apparaissaient encore instinctivement idéalistes, et illustraient la relation entre la déconstruction et la reconstruction. À l'étonnement de certains artistes qui faisaient de leur mieux dans le mouvement de l'art moderne, les symboles qui étayaient les arts modernes chinois et qui convenaient autant à l'art occidental qu'aux arts chinois anciens, avaient en fait été créés pendant une période qu'ils s'empressaient d'abandonner. Lors de la préparation de la Biennale de Venise de 1990, les représentants venus en Chine classèrent les peintures de Wang Guangyi représentant les protestations massives des ouvriers, paysans et soldats pendant la révolution culturelle, avec celles qui exhibaient la marque Coca-Cola. Les symboles visuels de l'ère de Mao Zedong et même l'image de Mao devinrent des éléments de l'art moderne chinois. Le groupe italien rapporta plusieurs peintures à sujet politique à Venise, et elles furent exposées pour la première fois aux yeux du public occidental.

Avec le progrès de la réforme et de l'ouverture de la Chine, davantage de peintres chinois eurent à réfléchir au concept de marché et à leur tentation. Ils se regroupèrent pour trouver un ajustement. Contrairement aux artistes radicaux, ils firent un compromis et continuèrent à utiliser les moyens de la peinture traditionnelle chinoise pour créer des œuvres du temps présent.

Ils comprirent que le véritable art moderne chinois ne pouvait se réaliser uniquement à partir de slogans et déclarations. La plupart des artistes abandonnèrent leurs efforts antérieurs pour chercher l'inspiration dans les mouvements modernes qui influençaient la société, et travaillèrent plutôt à rencontrer la demande du marché. Leur effort pour créer un art moderne chinois pionnier, qui ne soit pas occidental, était en soi la continuation de l'équilibre entre l'Ouest et la Chine, le moderne et la tradition, l'élite et le peuple. C'était un compromis, et il se poursuit.