Gu Kaizhi- le Peintres Chinois de la Dynastie des Jin

La dynastie des Han a commencé à engager des peintres pour desservir la cour impériale. Ceux-ci n'étaient pas autorisés à peindre sauf au palais. Les empereurs construisirent aussi des pavillons spéciaux pour entreposer leurs collections de tableaux qui illustraient surtout la contribution et la réalisation des empereurs durant leur règne. Toutes les dynasties suivantes ont poursuivi cette tradition jusqu'au dernier empereur des Qing. Une des tâches importantes des peintres impériaux consistait à faire le portrait des nombreuses épouses et concubines afin de permettre à l'empereur de choisir celle qui lui tiendrait compagnie la nuit. Par conséquent, plusieurs courtisanes offraient des pots-de-vin aux peintres afin que leur portrait les montre plus belles qu'elles ne l'étaient. Une anecdote célèbre raconte que le peintre Mao Yanshou, qui servait la cour des Han, rencontra l'une des plus belles femmes de l'histoire chinoise, Wang Zhaojun. Elle ne lui offrit pas de pot-de-vin, et par conséquent l'empereur ne requit jamais sa compagnie durant les années qu'elle passa à la cour. Pis encore, il la donna en mariage au roi des Xiongnus lorsqu'il vint dans la capitale des Han pour faire la paix avec lui. Quand l'empereur vit finalement Wang Zhaojun au moment de son départ, il comprit qu'elle était la plus belle femme jamais vue. Il était furieux, et chercha à savoir pourquoi il n'avait jamais joui de sa compagnie. Il trouva son portrait, et Mao Yanshou, dit la légende, fut exécuté.

Cet incident montre que les peintres des Han avaient encore un statut social très bas et que la peinture n'était pour eux qu'un moyen de gagner leur vie. Même les peintres impériaux étaient esclaves de la cour et leur destinée était entre les mains de leur maitre, l'empereur.

Après la chute de la dynastie des Han et durant la montée des dynasties des Wei et des Jin, de nombreux changements sociaux commencèrent. Deux des plus importants sont l'arrivée du bouddhisme et d'autres cultures étrangères en Chine, et l'émergence d'une classe intellectuelle active. Du IIIe siècle à la fin du VIe, la Chine était divisée en petits États, et les soulèvements politiques étaient fréquents dans le pays. Toutefois, le bouddhisme prospéra remarquablement durant cette période et atteignit un niveau d'acceptation sans précédent. À cause de la vaste expansion du bouddhisme, plusieurs grottes de signification religieuse furent sculptées et des temples furent construits. Leur création requit plusieurs peintres pour les décorer de fresques, et la technique picturale se développa rapidement. Parallèlement, des bouleversements sociaux causèrent la dissolution des lettrés, qui cherchèrent refuge dans le bouddhisme et l'isolement métaphysique afin d'échapper à la réalité sociale et politique. C'est pendant cette période que plusieurs célèbres érudits se firent une place dans l'histoire culturelle de la Chine. Par exemple, Ji Kang (224-263), qui était comme plusieurs autres érudits de l'époque un grand poète et peintre en même temps qu'un musicien et un joueur d'échecs de talent. Wang Xizhi (321-379 ou 303-361) était le plus représentatif de tous. Il est aujourd'hui considéré comme la « saga de la calligraphie ». D'autres célèbres peintres érudits sont Cao Buxing, Cao Zhongda, Dai Kui, Gu Kaizhi et Lu Tanwei. Malheureusement, très peu de leurs œuvres sont parvenues jusqu'à nous.

Gu Kaizhi- La Peinture la Plus Romantique
La Nymphe de la rivière Luo, peinture en rouleau (27,1 cm x 572,8 cm), encre et couleur sur soie (partie) attribuée à Gu Kaizhi. Musée du Palais impérial de Beijing.

Une exception est Gu Kaizhi. Aucun de ses tableaux originaux n'a survécu, mais il a acquis un statut légendaire en tant que peintre et théoricien l'art de la peinture chinoise. Il occupe une large place dans Archives des peintures célèbres des dynasties du passé (Li dai ming hua ji), une histoire des dynasties et de la théorie picturale écrite par Zhang Yanyuan (env. 815-875). Comme il était le plus célèbre peintre de cette période, ses œuvres furent souvent copiées par les générations postérieures comme moyen d'étudier sa technique. Aujourd'hui, ses peintures sont surtout connues par les copies de l'époque des Tang.

Gu Kaizhi (346-407) est né à Wuxi dans la province du Jiangsu et il commença à peindre à Nanjing, alors capitale des Jin de l'Est. Selon une légende, il était dévot mais astucieux, plein d'humour et vantard mais honnête et direct. C'était un être de contradictions, typiquement un érudit des dynasties des Wei et des Jin. De noble naissance, il occupa diverses fonctions officielles sans lourdes responsabilités. Mais pendant une longue partie de sa vie, il fut conseiller auprès de plusieurs fonctionnaires importants. Dans ses jeunes années, il n'eut jamais honte de ses amis peintres artisans et leur accorda plus d'importance qu'à ses ambitions politiques. Il voua sa jeunesse à la peinture. Il n'avait que vingt ans lorsqu'il commença à effectuer des fresques pour les temples bouddhistes et il fut bientôt reconnu. Plusieurs de ses œuvres sont enregistrées dans les archives impériales des dynasties des Tang et des Song, mais seulement quatre nous sont connues et toutes sont des copies. Néanmoins, elles demeurent d'importants ouvrages. Exhortations de la préceptrice de la cour aux dames du palais et La Nymphe de la rivière Luo sont les plus célèbres.

Exhortations de la préceptrice de la cour aux dames du palais appartient à la période des Jin de l'Ouest et illustre une parodie politique rédigée par Zhang Hua (env. 232-300). Exhortations de Zhang Hua est écrit sur un ton moralisateur pour promouvoir les valeurs confucéennes et attaquer le comportement excessif de l'impératrice Jia lorsqu'elle enseigne aux dames de la cour les vertus morales d'une courtisane. Référant aux anecdotes contenues dans cet article, Gu Kaizhi a illustré tous les personnages de l'empereur, de l'impératrice et des courtisanes dans son histoire. La protagoniste est la préceptrice qui guide le comportement des dames du harem impérial. Deux copies ont survécu. Une de la dynastie des Tang est parvenue au British Muséum de Londres en 1903, et l'autre, des Song, se trouve au Musée du Palais impérial de Beijing. La peinture en rouleau des Exhortations, copie des Tang, comporte neuf scènes mais les deux premières manquent, de même que le texte de la première scène. Chaque section a son histoire originale écrite sur la peinture. L'œuvre a été exécutée en style linéaire délicat typique de la peinture de personnages du IVe siècle. Des motifs similaires ont été découverts dans des tombes contemporaines. Les textes décrivent comme telle la façon de peindre de Gu Kaizhi. Les inscriptions et les sceaux sur ce tableau remontent au VIIIe siècle, époque probable où fut exécutée la copie de l'original de Gu.

La Nymphe de la rivière Luo illustre un poème romantique du même titre écrit par Cao Zhi, frère cadet de l'empereur Wendi des Wei. Sur la peinture, Gu Kaizhi a transformé le sentiment du poète en une sensation visuelle palpable. Debout au bord de la rivière Luo, Cao Zhi contemple la Nymphe sur l'autre rive. Il peut la voir mais pas la toucher, d'où son désespoir persistant. La Nymphe semble marcher lentement vers lui par-dessus les nuages et les vaguelettes, si élégante et romantique. Le vent souffle vigoureusement sur la rivière, si intense et spectaculaire. La peinture crée une parfaite scène poétique visuelle, combinant la réalité à l'imagination et mêlant le conte à la vie réelle.

Les peintures sur soie exhumées depuis la période des Royaumes combattants et la dynastie des Han illustrent la tradition fondamentale du style de peinture chinoise qui recourt à l'encre noire pour l'esquisse puis ajoute les couleurs dans les vides. Les peintures de Gu Kaizhi représentent une extension de ces techniques anciennes et la perfection du format de la peinture chinoise. Zhang Yanyuan, un historien de l'art des Tang, décrivait les œuvres de Gu Kaizhi comme « compactes sans interruption, répétitives avec transcendance, élégantes avec variété, et vives comme l'éclair ». Comme dans la calligraphie de Wang Xizhi, les lignes du dessin non seulement illustrent les personnages et sujets mais aussi ont-elles une structure rigoureuse et un rythme riche, ce qui montre la beauté de la structure et de la composition. Les dames de la cour, les montagnes et la scène de chasse du tableau sont presque une copie directe des techniques conceptuelles utilisées dans la peinture sur soie des Han. Cela ne veut pas dire que Gu Kaizhi n'est pas personnel et créateur ; c'est plutôt la formule conceptuelle qui était devenue habituelle et contraignante déjà à son époque. Comme la calligraphie a ses propres règles d'écriture, la maitrise de la formule conceptuelle en peinture est un symbole de la perfection dans la pratique de l'art. Toutefois, parce que les montagnes, les rochers, les arbres et d'autres grands sujets sont aussi dessinés en une seule ligne simple dans la technique traditionnelle, la dimension des personnages et des autres objets naturels perd sa perspective naturelle en comparaison. Cela indique généralement que la technique utilisée dans les peintures chinoises de paysages de la période des Wei et des Jin était encore dans son enfance et devait être perfectionnée. En tant que grand artiste de cette génération, Gu Kaizhi a analysé et raffiné les bons éléments de la peinture de cette période et les a utilisés avec créativité. Son travail est donc un exemple d'excellence exceptionnelle et plusieurs peintres des générations suivantes ont copié ses œuvres dans le but d'apprendre ces techniques délicates comme Zhan Ziqian et Wu Daozi des dynasties des Sui et des Tang.